Quel est l’apport académique dans la question du sens au travail ?
Le sens a été exploré par le concept de sensemaking (Weick 1979), qui consiste à créer du sens à propos de ce qui se passe, c’est aussi la genèse du sensegiving, c’est-à-dire la création de sens pour les autres. La culture organisationnelle joue également un rôle et plus récemment la spiritualité.
- sensemaking
Weick (1979) et l’initiateur du terme « sensemaking » qui concerne tous les niveaux des personnes de l’organisation, au sein du management depuis les top-managers, jusqu’aux managers de terrain.
Par le processus de sensemaking, les individus transforment les flux d’expérience en compréhensions et en mots qui servent de tremplin à l’action. » (Sutcliffe, 2016, p. 1). C’est aussi une forme de construction sociale, le produit d’échanges et de négociations entre les parties prenantes de l’organisation (Berger et Luckman, 1966). En tentant de résoudre l’ambiguïté croissante, le chaos, on cherche à fournir des explications plausibles pour promouvoir l’action au milieu d’un chaos croissant (Weick et al., 2005). Le sensemaking sert en conséquence à fournir une raison plausible d’agir.
Weick (1979) s’est intéressé à la défaillance du sensemaking qui peut interrompre les réponses organisationnelles, et il a constaté que les individus peuvent continuer à agir, souvent portés par l’inertie ou l’instinct de survie.
Pour rétablir le sensemaking et reprendre l’action coordonnée, il faut construire et communiquer une nouvelle histoire qui fournit des explications plausibles de ce qui se passe afin que l’action coordonnée puisse reprendre ( Weick et al., 2005).
- sensegiving
Les leaders organisationnels peuvent tenter de façonner le rétablissement collectif de l’acquisition de sens par le biais du sense-giving. Ils tentent d’influencer l’acquisition de sens et la construction du sens des autres vers une redéfinition préférée de la réalité organisationnelle (Gioia et Chittipeldi, 1991, p. 442). Ils visent à combler les « vides de sens » qui ont précédé l’échec du sensemaking et à créer des histoires et des objectifs partagés par les membres de l’organisation et les leaders.
On peut noter que les qualités discursives du manager sont un atout pour l’aider à façonner le processus suivant : (1) création d’une vision, (2) communication de la vision, (3) encourager les autres à agir pour réaliser la vision (Kotter, 1995).
- place de l’expérience et de la culture
La vision de la culture en tant qu’expériences partagées (Weick, 1995, p. 188) diffère de la vision de la culture en tant que sens partagé (Smircich, 1983, p. 360) en ce sens que les expériences partagées sont communes et que les significations individuelles des expériences partagées peuvent différer en raison des différences individuelles. Considérer la culture comme des expériences partagées permet de comprendre que les individus au sein d’une culture intègrent la création de sens collectif des expériences partagées sans perdre leur individualité (Weick, 1995).
Les récits de création de sens conformes à la culture existante ont plus de chances d’être considérés comme plausibles parce que les récits s‘alignent sur les valeurs culturelles.
La culture opére un contrôle en restreignant l’espace dans lequel des significations alternatives peuvent être exprimées, en faisant en sorte que l’adhésion aux valeurs fondamentales de l’entreprise devienne une routine, et donc en gérant le sensemaking des collaborateurs.
- analyse critique du sensemaking
La méthode d’analyse critique peut servir d’avertissement, car de puissantes influences sont engagées dans une bataille culturelle pour contrôler notre sensemaking dans les organisations, en réduisant la marge d’interprétation et en veillant à ce que l’adhésion à des valeurs et normes culturelles devienne rationnelle et routinière.
les sociologues vont encore plus loin en précisant que les règles culturelles ont tendance à s’étendre au contrôle du corps à l’esprit et à l’âme des travailleurs ( Clegg, 1981)
Les philosophes invitent à stimuler le sens en renonçant à la paresse de la pensée, alors que de de nos jours, animées d’une bonne intention de faire plaisir, des personnes ont tendance à entrer dans des formes de conformisme excluant ceux qui n’adhèrent pas à cette pensée unique en les figeant dans la catégorie “complotiste”. Cette dualité sommaire empêche toute interrogation et toute argumentation alors que les ressorts profonds du conformisme sont la lâcheté et l’arrogance. Pour sortir de cette dichotomie empêchant la créativité, il s’agit de lever la censure, en activant des espaces de discussion, délivrés de la contrainte, pour ne pas dire, de la tyrannie des idées prédigérées.
- le besoin de sens et la spiritualité
Conger (1994) a remarqué que notre appartenance à la famille, l’église et la société civile, ne parvient pas à satisfaire notre désir de sens, et que le lieu de travail occupe une position unique parce qu’il joue un rôle plus central dans nos vies. L’arrivée de la spiritualité sur le lieu de travail interroge ; en réalité la spiritualité sur le lieu de travail peut servir à :
- renforcer une conceptualisation sacrée du lieu de travail moderne,
- restaurer la foi dans les valeurs de l’éthique du travail et de la création de richesse,
- raviver notre contentement avec le marché pour éviter son érosion finale par ceux qui tiennent à sa préservation.
Pour en revenir à la question du sens, on remarque que le sens constitue justement le lieu de la spiritualité, dans sa définition car la spiritualité se relie à la vocation, l’appel, l’alignement de soi, la connexion. La spiritualité offre au sens une piste à partir de l’intérieur.
La spiritualité critique peut chercher elle-aussi (comme la philosophie avec la paresse de la pensée) à surmonter les processus de domination sociale et d’oppression en relation avec la gestion et l’organisation.
Le sens fait donc l’objet d’un renouveau dans les activités de connexion, de transcendance, encore faut-il résister cette fois-ci à la paresse de l’âme.
Les chercheurs ont remarqué que le sens se traduit dans le sentiment de bien-être au travail, et les gestionnaires qui comprennent les phénomènes lorsqu’ils sont capables de les mesurer, ont plus de facilité à repérer le bien-être au travail, son épanouissement ou au contraire son affaiblissement. De là, il est plus facile d’en tirer des enseignements sur la crise de sens.
Pour aller plus loin lire :
Voynnet-Fourboul C. (2021) Leadership spirituel en pratiques, éditions EMS
Duyck J.Y., Moal-Ulvoas G., Voynnet-Fourboul C. (2017), Management et spiritualité, Ed. EMS
Voynnet-Fourboul C. (2014) Diriger avec son âme, Leadership et spiritualité, éditions EMS, Questions de société.