
Que répondre à la récurrente et complexe question sur le rôle du RH en 2017 ? Quel est le rôle de cet intrigant personnage que l’on croise à son embauche et que certains préfèrent fuir par la suite ? Au Ciffop (Master Executive), on a pour habitude de dire que le RRH est le Responsable des Richesses Humaines. Il est celui à qui on demandera de se positionner entre le cynique Représentant des Répressions Humaines et l’idyllique Chief Happiness Officer. Au-delà, il est celui qui sera là pour veiller au climat social avec empathie, traiter des questions de bien-être et santé au travail avec humanité, qu’il s’agisse de l’organisation des moments forts de la vie des collaborateurs ou du traitement des questions plus complexes des risques psychosociaux. Il est pourtant un sujet sur lequel il est souvent démuni et pas ou peu outillé : celui du traitement des maladies chroniques évolutives et plus précisément du cancer en entreprise. Or il s’agit d’une forte attente du gouvernement et des partenaires sociaux en matière de santé au travail pour la période de 2016 à 2020 (cf. le 3ème Plan Santé au Travail (PST)).
D’après l’Institut National du Cancer (INCa), les chiffres en France portent portant à réfléchir : ce sont actuellement 3.000.000 personnes qui vivent avec ou après un diagnostic de cancer mais sur les 1.000 nouveaux cas de cancers diagnostiqués chaque jour, 400 concernent des personnes en activité professionnelle. En outre, l’ensemble des études scientifiques attestent de la dégradation de la situation professionnelle dans les deux ans qui suivent le diagnostic de cancer : 30% perdent ou quittent leur emploi, et seulement 1 personne sur 3 au chômage au moment du diagnostic retrouve un emploi. Face à de telles données et conformément aux besoins énoncés dans le cadre du Plan Cancer 2014-2019, l’INCa a décidé en partenariat avec le Ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social et l’Association nationale des DRH de travailler dès 2015 avec des entreprises et des experts (dont Stéphanie Carpentier fait partie) pour répondre au double constat : celui de la méconnaissance du dispositif de maintien ou de retour au travail dans l’entreprise et celui du manque de communication et de moyens chez certains acteurs pour répondre à ces besoins.
Pourtant une telle démarche institutionnelle ne dispense pas les managers, et a fortiori le RRH, de devoir s’emparer maintenant de ces questions de cancer en entreprise : en étant mal anticipé par les managers et les salariés, le retour en emploi des personnes malades fragilise en effet au quotidien l’organisation de l’entreprise. Or malgré les idées reçues, il est possible de créer de la richesse immatérielle et de faire des économies en coût de friction par le maintien dans l’emploi des personnes nouvellement diagnostiquées. Le professionnel des RH se retrouve cependant en première ligne pour traiter de cette difficulté individuelle, managériale et organisationnelle, et ce d’autant plus s’il est lui-même directement et personnellement concerné par la maladie ! (Stéphanie Carpentier et Marion Gaillan en ont fait l’expérience).
Dès lors, en tant que professionnel des RH, il devient nécessaire de répondre à un certain nombre de questions managériales, organisationnelles et individuelles que soulève la présence du cancer en entreprise. Nos témoins ont choisi de nous sensibiliser plus particulièrement sur certains points de réflexion:
- Quel dispositif de communication est nécessaire ? Un salarié confronté à un risque psychosocial se trouve généralement en difficulté pour parler de sa situation mais quand il s’agit de la maladie, et plus encore du cancer, on hésite entre garder le mutisme et libérer la parole. Comment en effet trouver les mots justes, que l’on soit la personne malade, son collègue ou son manager ? Il en est de même pour le moment et le dispositif opportun.
- Sachant que 3 salariés sur 4 pensent qu’il est difficile de parler du cancer en entreprise, comment parler alors de maintien dans l’emploi ou d’employabilité de la personne touchée par le cancer ? Si est vrai que les opérations et les traitements peuvent très ponctuellement la faire s’absenter de l’entreprise, cela peut néanmoins être tout à fait compatible avec les dispositifs d’une entreprise plus flexible ou dite à la carte (à supposer bien entendu qu’un tel dispositif existe !).
- De la même façon, s’il est vrai que les conséquences du cancer peuvent parfois ne plus permettre à la personne malade d’exercer le même métier, que ce soit de façon ponctuelle ou permanente (un collaborateur devenu handicapé moteur à la suite d’un accident de voiture est également concerné par cette situation), il n’en demeure pas moins que ce changement peut devenir une occasion d’apprendre et de développer de nouvelles compétences ! Cette maladie interroge donc le RRH, et au-delà l’ensemble de l’entreprise, sur sa prise en charge de la diversité et du développement des compétences de ses collaborateurs.
- Au-delà, comment se fait-il que durant un congé maternité, parental ou sabbatique, le manager, l’équipe et même l’ensemble de l’entreprise sache s’organiser et refaire la répartition de la charge de travail au sein de l’équipe mais également réajuster les objectifs individuels et collectifs, garder le contact et organiser l’entraide mutuelle… et que cela ne puisse pas s’appliquer en cas de cancer en entreprise ?
- Enfin les expertises RH et les études économiques ont montré qu’en privilégiant l’accompagnement collectif, il est possible de faire d’une situation de fragilité, une occasion de créer de la valeur humaine, sociale, économique, organisationnelle et sociétale. Comment se fait-il alors que les qualités développées par les personnes atteintes par un cancer – la capacité à changer de cadre de référence et à s’adapter à un changement de contexte difficile et très évolutif, la résilience, l’optimisme, l’intelligence émotionnelle, la capacité à vivre dans l’instant présent (cf. la mindfulness) voire même la joie de vivre et l’enthousiasme, etc. – ne soient pas plus exploitées en entreprise alors que ce sont des qualités de leadership particulièrement recherchées actuellement ?
Bref, les questions RH que soulève la présence du cancer en entreprise sont nombreuses mais cela révèle une évidence : le RRH d’aujourd’hui et de demain est et sera celui dont l’ambition est d’avoir pour stratégie d’entreprise la volonté de conjuguer responsabilité sociale et sociétale avec performance et compétitivité durables. Dans cette recherche, sa capacité à concilier cancer et emploi sera alors garante d’une équation gagnante, que ce soit au niveau économique, managérial, organisationnel ou « tout simplement » humain.
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Stéphanie Carpentier est Docteur (Ph. D.) en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail. Son profil et ses coordonnées sont consultables sur LinkedIn | |
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Marion Gaillan exerce dans les Ressources Humaines et est diplômée du Ciffop promotion executive 2011. Son profil et ses coordonnées sont consultables sur Linkedin. |